Joseph TISSOT, NON VENU – La Folie
Un travail littéraire pour une définition et un traitement humaniste des aliénés et une science psychiatrique plus humaine.
Sans être médecin lui-même, l’auteur de cet ouvrage s’empare de la folie et tente, tout comme Despine à la même époque, de montrer que la frontière entre homme fou et homme en bonne santé n’est pas étanche.
La table des matières montre l’étendue de ce travail que l’on peut considérer comme une vaste enquête sur la folie au milieu de l’Age classique.
A la fin de sa carrière, au moment où il écrit son traité, l’auteur est doyen honoraire de la faculté des lettres de Dijon et se fait connaître par quelques travaux sur la psychologie de l’Histoire et quelques critiques littéraires et philosophiques (dont une traduction de l’Anthropologie de Kant).
Au même moment que Despine, Tissot brouille les frontières entre l’homme atteint de folie et l’homme de bonne santé ne sont pas si claires.
Comme il l’évoque dans sa conclusion, ce livre paraît les désastres de la guerre de 1870 et de la répression de la Commune (mouvement que certains spécialistes de l’aliénation mentale étiquetterons comme une folie collective).
Ce travail pourrait se faire valoir d’être un manifeste anti-asilaire et anti-ségrégation envers les personnes considérées comme folles.
Cet ouvrage n’est pratiquement que le second à faire intervenir un non-médecin, de surplus un non-aliéniste dans le champ de la définition structurale de la folie. Le premier étant ici Regnault, qui était avocat. Le successeur le plus connu de cette tendance sera Michel Foucault.
Dès sa préface, l’auteur anticipe un des propos les plus habituels de Jacques Postel : « je ne veux pas me fâcher avec … ». En effet, il expose son but, sans toucher au domaine réservé de la définition clinique de la folie : « il s’agit donc avant tout dans cette étude de la nature des maladies de l’âme connues sous le nom générique d’aliénation mentale, de leurs rapports entre elles, et avec nos facultés diverses, de leur liaison avec les passions, les volitions et les actes, par conséquent, de leurs rapports avec la moralité publique et privée, de leurs causes morales et des moyens moraux encore qu’on peut employer pour les prévenir ou pour les combatte. »
A la page 140, Tissot se révèle être le premier, avant d’autres et Foucault, à étudier l’observation de Pierre Rivière et à citer son célèbre mémoire « moi Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère et ma sœur […] ». Ce même Pierre Rivière qui « croyait faire une action louable quoique condamnée en apparence par toutes les lois divines et humaines ».
Il faut attendre la conclusion, page 577 pour voir apparaître le mot de « psychiatrie » : « Si la psychiatrie est très avancée déjà en ce qui concerne les faits constitutifs de la folie – la partie qu’on peut appeler la pathologie psychique – elle laisse encore beaucoup à désirer, presque tout au point de vue de la pathologie somatique, en ce qui regarde le rapport précis de l’affection mentale à l’affection organique. D’où il suit que la science médicale de la folie est encore à son berceau et que dans cet état de chose, le traitement moral, entendu dans la plus large acception du mot, doit avoir d’autant plus de part dans la méthode curative à suivre, que le traitement physique ne doit avoir la préférence que dans les cas où la cause de la folie est visiblement organique. […] En matière d’aliénation mentale comme en tout ce qui dépend de la prudence humaine, l’affaire essentielle est de prévenir le mal plutôt que d’avoir à le guérir. L’instruction, l’éducation surtout, les institutions civiles et religieuses, l’hygiène physique et morale, peuvent avoir ici la plus grande et la plus heureuse influence. Elles sont appelées à relever ce côté faible de notre société, aussi bien que celui, peut-être plus faible encore, qui nous a valu les épouvantables désastres de la dernière guerre. »
Parmi les chapitres : « Ce qui distingue la folie d’autres états analogues de l’esprit », « Causes morales de la folie, influences diverses (éducation, conditions profession …) », « De la folie comme cause elle-même de folie ou de la folie épidémique », « Sur le libre-arbitre en lui-même et par rapport à la folie » etc.
Sous-titré : “Considérée surtout dans ses rapports avec la psychologie normale. Sa nature, ses formes, son siège essentiel, ses effets moraux et juridiques, etc”
Paris, A. Marescq Ainé, 1877
Relié, pleine-toiie grise moderne, pièce de titre en maroquin rouge, 582 pages.
Édition originale.
Ex-libris Léon Fouks.
Traces insolées anciennes sur la page de titre. Taches anciennes sur la couverture.
Très bon état. –