Volume exceptionnel car il s’agit de l’exemplaire envoyé à Ferdière par Fretet, puis annoté et corrigé par Ferdière lui-même et transmis à Henri Ey. Enfin l’actuel possesseur qui nous a confié sa aujourd’hui est également un psychiatre. La provenance est incroyable : 4 psychiatres ont possédé successivement ce livre fondamental. Qui sera le 5e propriétaire ?
Notre volume est truffé d’une lettre sur papier à entête de la la Clinique du travail dans le 10e arrondissement de Paris. « L’érotomanie ou syndrome de Clérambault est la conviction délirante d’être aimé. Loin de l’obsession d’un amour non partagé, c’est une forme de psychose paranoïaque de la catégorie des délires passionnels où la haine de l’autre est, par un renversement des positions subjectives, déguisée en « conviction illusoire d’être aimé ». De la même manière que dans le délire de persécution où l’individu est persuadé d’être l’objet de malveillances imaginaires, l’érotomane est persuadé d’être l’objet d’une bienveillance amoureuse, tout autant délirante, de la part d’autrui. L’érotomane est persuadé d’être secrètement l’objet du désir de quelqu’un, mais il l’est par le biais d’une construction intellectuelle délirante qui vient étayer sa conviction initiale, typiquement de la télépathie, des gestes à la signification secrète connue de lui seul, des messages codés et diffusés dans les médias qu’il est seul à pouvoir déchiffrer ou simplement de regards que lui seul comprend. Il n’aime pas toujours cette personne, mais il est certain d’en être aimé. Il peut s’agir de quelqu’un de son entourage comme d’une personnalité en vue qui n’a pas même la connaissance de l’existence de l’érotomane, mais d’une personne qui incarne à ses yeux une position sociale supérieure. » (wiki) « Freud et Lacan apportent une vision psychanalytique à l’érotomanie, au sens où ils insistent sur le narcissisme d’un moi ébranlé chez le sujet, pré-morbidité constante à la génération du délire. Cette recherche d’assemblage du moi renvoie presque dans tous les cas à la sexualité dans l’enfance. Le délire érotomaniaque constitue en une solution défensive pour l’individu contre un désir homosexuel inconscient, refoulé et insoutenable dans sa réalité intérieure. La néo-réalité délirante apparaît comme une issue acceptable pour le sujet, puisqu’il projette son idéal sur un Autre, de haut statut social. « Ce n’est pas lui que j’aime. C’est elle que j’aime parce qu’elle m’aime ». » Gaston Ferdière auquel Jean Fretet envoie son livre a justement soutenu sa thèse de médecine (en 1937) sur l’Erotomanie : « L’érotomanie, l’illusion délirante d’être aimé ». « Ferdière soutient notamment qu’il n’y a pas de limite d’âge, et que l’érotomanie masculine concerne un cas sur 10 au moins, et qu’elle présente des symptômes globalement semblables à ceux retrouvés chez la gente féminine.
Les femmes atteintes se classent par ailleurs en trois catégories distinctes. Il y a tout d’abord les femmes « physiquement ou sexuellement insatisfaites », (femmes vierges, veuves très tôt, ou femmes frigides), ensuite les femmes « affectivement insatisfaites » (maltraitance physique ou sexuelle dans l’enfance, échecs et séparations) et enfin les femmes « matériellement insatisfaites » (déception de leur mariage qui ne les comble pas au niveau financier, matériel ou au niveau du rang social). Il évoque également le lien privilégié entre le mysticisme et l’érotomanie, et décrit des troubles communs comme des hallucinations olfactives. Il insiste d’ailleurs sur la constatation d’une pratique religieuse augmentée chez ces patients dans les phases fécondes de quête d’amour. Il rappelle l’importance pour les médecins psychiatres et cliniciens en général d’être avertis qu’ils sont une cible privilégiée des fantasmes érotomanes.
Fretet nuance également le clivage imposé par Clérambault au sujet de l’érotomanie pure et secondaire, et ne se montre pas aussi catégorique. La même année dans « les causes affectives de l’érotomanie notamment chez l’homme », il émet quelques réticences quant à la thèse de Clérambault en matière de clivage net entre l’érotomanie pure et secondaire. Selon lui, l’érotomanie dans son choix à l’Objet, et en particulier chez les hommes, est une manière de substituer la figure maternelle, sous-tendant à la chose une mention incestueuse. L’érotomane serait donc à la recherche d’une nouvelle figure maternelle, protectrice et aimante, afin de compenser une faille narcissique et un sentiment d’infériorité et d’impuissance. » (in Discussion clinique et enjeux médico-légaux autour de l’érotomanie de Clémence Monteil) Notre volume est un des témoins de la nouvelle acceptation de l’érotomanie et de l’évolution des moeurs chez les praticiens.
Rapport de condition
In-8, broché, couverture imprimée d’origine, rousseurs éparses, dos abimé, non rogné, envois et lettres manuscrites ajoutées, Paris, Alcan, 1937, 138 pp.