Ce rapport est une preuve tangible de l’état des établissements d’aliénés en 1850. Il met en évidence les carences techniques, médicales et immobilières dans la prise en charge des « fous ». Ce rapport très factuel et essentiel à la compréhension de l’univers « carcéral » des aliénés avait pour but de valider la demande de construction de l’aile Nord de l’hôpital ; il obtenu effectivement gain de cause et l’aile fut construite.
L‘article suivant est très instructif : « L’histoire de l’hôpital de la Timone à Marseille est indissociable de celle de l’hospitalisation de ceux appelés au début les fous, puis les insensés, enfin les aliénés. Depuis le XVIIe siècle ces malades étaient hospitalisés à l’hôpital Saint Lazare, ancienne léproserie de Marseille, mal entretenue et devenue au fil du temps insalubre. La décision de construire un hôpital neuf répondant aux normes présentées par Esquirol, élève de Pinel, dans un rapport de 1819, fut prise par la municipalité le 1er décembre 1824 sur proposition du maire Monsieur de Montgrand. L’établissement fut réalisé sur les plans de Robert Penchaud en respectant la disposition préconisée par Esquirol : un quartier pour les femmes, un pour les hommes, chaque quartier comprenant quatre cours fermées entourées de galeries couvertes, (divisions) sur lesquelles donnent les chambres, l’ensemble du bâtiment formant quadrilatère. Les travaux ne commencèrent qu’en 1830, mais ils furent rapidement arrêtés par des problèmes de financement. En 1841, l’aile Sud de l’asile Saint-Pierre (pavillon des hommes), d’une capacité de 300 places, était terminée, mais ce n’est que le 10 juillet 1844 que le transfert des malades de l’hôpital Saint Lazare vers celui de Saint Pierre put être effectué sous la responsabilité du médecin-chef Aubanel. Le problème de la surpopulation sera une constante du nouvel établissement : en 1850 on observe qu’il y a 475 malades pour 300 lits. « Il ne reste plus une place disponible, les lits sont rapprochés, les chauffoirs sont transformés en dortoirs. Les locaux sont humides et la mortalité est au-dessus de celle des autres établissements.» De plus les locaux ne permettent pas de séparer les furieux des autres malades. Les hommes sont séparés des femmes pendant la nuit alors que, par suite de l’encombrement, le jour les malades des deux sexes sont réunis dans les réfectoires, les cours et les préaux. « Les hommes peuvent voir et entendre les femmes ce qui est une cause d’excitation, toujours circonstance aggravante pour les affections mentales. Cette situation n’est plus tolérable » écrit Aubanel. Il est temps de s’occuper de la construction de l’aile nord. En 1850, l’appel d’offres est lancé pour la construction de l’aile Nord (pavillon des femmes). Le chantier sera terminé en 1858 : le nouvel hôpital comprend alors 600 lits. À la mise en service l’ensemble comporte déjà 807 malades. Il n’y a qu’un seul médecin : Honoré Aubanel. Le personnel comprend 54 personnes : 10 infirmières, 10 servants pour les hommes, 26 servantes pour les femmes et 9 sœurs Augustines. En 1858, l’Asile des aliénés de Marseille est mentionné ainsi dans l’Indicateur marseillais : « L’asile des aliénés de Marseille, entièrement achevé, construit sur un plan bien étudié répondant à toutes les exigences de la spécialité, est situé au quartier Saint Pierre, au-delà du pont du Jarret, et à vingt minutes de la ville. Il reçoit les aliénés des deux sexes des départements des Bouches du Rhône et du Var, en outre à des prix modérés, des aliénés pensionnaires des classes ordinaires et de hautes classes, auxquels sont affectés des quartiers spéciaux, avec chambres et appartements particuliers, et de grands et délicieux jardins. Les familles trouvent aussi dans cet établissement toutes les conditions d’utilité et d’agrément, qu’elles recherchent souvent en vain dans des maisons particulières. Le service médical est dirigé par un médecin chef (Aubanel) et un médecin adjoint (Alfred Sauze) qui s’occupent depuis longtemps, d’une manière spéciale de l’étude des maladies mentales. L’administration de la maison appartient à un Directeur (Théodore Bacquère). Des religieuses (Augustines) desservent l’établissement auquel est attaché un aumônier. Il y a 2 postes d’internes en médecine. Enfin, une commission de surveillance exerce un contrôle et une surveillance sur tous les services de l’Asile. » L’hôpital est terminé mais on manque de place alentour. Aussi on va procéder à l’achat d’un terrain contigu, la campagne Caillol, qui sera transformée en ferme agricole car Aubanel croit beaucoup à la valeur du travail dans le traitement des aliénés. Il écrit « combien d’aliénés ont été guéris ou améliorés sous l’influence du travail à l’air libre, qui fatigue le système musculaire, amène le repos pendant la nuit, facilite l’exercice des fonctions organiques et agit favorablement sur le cerveau ». La superficie totale de l’établissement est alors de 17 hectares dont 4 occupées par les bâtiments et 13 par les cultures. En 1869, une partie du terrain voisin côté Sud, appartenant à la famille Timon-David est acquise avec acte passé devant maîtres Arnaud, Latil et Testanière, les 11 mai et 26 octobre comprenant : « le bâtiment de maitre, la maison du paysan, et une parcelle de terrain d’environ 4 000 m2 détachée d’une propriété rurale dite « La Timone ». Plus tard, le domaine sera complété par l’achat des propriétés, La Gravière, Bouchoux, et la campagne dite « du chemin de fer » appartenant à la compagnie P.L.M., à l’Est de la propriété. La superficie du domaine Saint-Pierre passe alors à 22 hectares. Il est isolé sur un vaste terrain limité au Nord par la rue Saint Pierre, à l’Ouest par le Jarret, à l’Est par le remblai du chemin de fer (ligne permettant la communication entre la gare de la Blancarde et celle du Prado, puis plus tard avec le bassin de carénage par le tunnel du Prado) et au Sud par le chemin dit de la Timone. En 1877, plusieurs travaux sont effectués, un pont est jeté sur le Jarret à l’extrémité du Boulevard Baille et l’entrée de l’asile se fera désormais par là ; l’entrée Saint-Pierre est progressivement supprimée. Un bâtiment administratif va être aussi construit. Il est dû à l’architecte Pichon. Il fait face au pont de l’entrée Baille et sera terminé en 1891 : c’est le seul vestige qui reste actuellement des bâtiments de l’asile Saint Pierre. On trouve en outre : le pensionnat pour les femmes, le pensionnat pour les hommes c’est-à-dire pour les malades payants, probablement situé dans la bastide Timon-David, la ferme avec la vacherie et la basse- cour, et enfin les surfaces cultivables qui occupent le reste. Les aliénés y travaillent et pourvoient ainsi à l’approvisionnement de l’asile. Hippolyte Vassal, qui préside à la fin du XIXe siècle le comité de surveillance, indique : « on multiplie les allées bordées d’arbres, on plante des bosquets verts, on distribue des corbeilles de fleurs donnant à cet asile du malheur un aspect riant qui charme l’œil ». Cet asile est dès le début sous médicalisé ; en effet dans les années 1860 il n’y a qu’un seul médecin pour s’occuper de près de 1 000 malades. On renforcera ensuite l’effectif avec l’adjonction d’un médecin-adjoint et de deux internes. A la même époque on trouve 180 personnels non médicaux dont 30 religieuses. L’autre problème majeur réside dans l’augmentation extraordinaire du nombre de malades internés. De 1699 à 1940 la population de Marseille a été multipliée par 20 tandis que le nombre des internés a été multiplié par 80. Ces problèmes de surpopulation ont toujours existé, que ce soit à l’hôpital Saint-Lazare ou à l’asile Saint-Pierre. Les conditions d’hospitalisation sont toujours aussi inhumaines. In « L’hôpital de la Timone à Marseille », par le Professeur Jean-Louis Blanc ».
Rapport de condition
Edition Originale. In-8, broché, couverture imprimée moderne sur papier vert, Marseille, Senès, 1850, 353 pp.