Le lot 47 est le texte dactylographié d’une conférence de Gaston Ferdière dispensée le Mardi 26 février 1962 à la Ligue française d’hygiène mentale : « Découverte du beau dans les productions des malades de l’esprit ». Il s’agit d’un document inédit et assez rare pour n’apparaître nulle part et être proprement impossible à obtenir. Il est complet à l’exception d’une partie des seules pages 26 et 27 qui ont été arrachées. Cette conférence est introduite par le Président Docteur Minkowski ; sa rapide introduction est touchante ; elle montre la qualité des relations confraternelles qu’entretiennent les 2 savants. Ferdière prend d’ailleurs le postulat de Minkowski : « L’Art est Art quelle qu’en soit l’origine, ou n’est pas », comme point de départ de sa conférence. Puis rendant honneur à Françoise Minkowska, il ajoute « Van Gogh était un aliéné. C’était un authentique aliéné, et les journalistes qui veulent absolument minimiser certaines choses chercheront en vain à le dissimuler. C’était un fou ! Et sa folie était (pour reprendre le mot de Rimbaud) de celles qu’on enferme. » Plus loin, après avoir développé, « En face de Van Gogh, de Greco, de Goya, de mile autres si nous passions aux écrivains ? Si nous passions aux poètes, je pourrais prendre l’exemple d’Holberlin. » Encore… « Cette expression d’« Art psycho-pathologique » est-elle légitime ? » Cette conférence est prodigieusement passionnante, Ferdière y manie les concepts avec la sévérité du savant de renom mais ose l’humour et chasse la morosité de l’univers proprement psycho-pathologique. Il éreinte encore (voir lot 45) le livre de Dracoulidès… Et malgré son admiration et respect pour Henri Ey, il s’oppose à lui sur le caractère créatif de la folie magnifique ! Et toujours « Mais alors, pourquoi, cette fameuse liberté que d’une manière générale on dit indispensable à l’oeuvre d’Art, cette liberté sans laquelle l’Art ne peut pas être l’Art, pourquoi viendrait-on la refuser et la refuser systématiquement à l’aliéné, au fou qui nous occupe ce soir ? » Cette conférence est un bijou.
Auteur
Gaston Ferdière ! A l’évocation de ce nom, le regard perdu d’Antonin Artaud apparaît ; d’emblée l’impression du néophyte est désagréable. Ferdière ; celui qui a interné Artaud. Mais qui est Gaston Ferdière ? Ne souhaitant pas imposer une longue biographie, voici un échantillon de ce que l’on peut rapidement apprendre… de moins convenu. En 1930, alors qu’il a commandé à Paris une nouvelle fresque à Frédéric Delanglade, pour son hôpital, il invite à déjeuner André Breton et Marcel Duchamp. Il noue une relation extrêmement créatrice et artistique avec les surréalistes qu’il côtoie régulièrement. En 1941, afin de faire vivre son hôpital de Rodez, Gaston Ferdière n’hésite pas à pratiquer le marché noir au péril de sa vie. Ferdière est un catalyseur de rencontres, un « ovni » qui donne au « fatum » du fil à retordre et impose son rythme à la vie : « Alors que Sainte-Anne se prépare à ouvrir ses portes au public, Jean Dubuffet vient de rencontrer Gaston Ferdière qui le présente à d’autres aliénistes. Parmi ceux-ci, Lucien Bonnafé (1912-2013) , natif du Lot, qui fréquente comme Gaston Ferdière, le milieu surréaliste. Il est résistant et militant communiste et sera très impliqué dans la « psychiatrie désaliéniste » autour de 1955. Alors médecin psychiatre à l’hôpital de Saint-Alban-sur-Limagnole en Lozère, le Docteur Bonnafé soigne Auguste Forestier, auteur d’Art Brut, dont le nom sera célèbre. Il est ami de Paul Eluard qui a trouvé refuge dans cet hôpital en 1943, lui-même proche d’Aragon et d’André Breton : un chassé-croisé de rencontres déterminantes dans l’évolution de l’art psychopathologique où l’on voit apparaître des interactions entre le milieu surréaliste, l’engagement politique et le milieu médical. » (in De l’art des fous à l’art psychopathologie… » de Muriel Tisserant.) En 1946, sous le haut patronage de Ferdière est organisée la première « Exposition d’art des malades mentaux (peintures, dessins, sculptures, décorations) » ouverte au public du 16 au 28 février 1946. Evénement placé sous l’autorité du Préfet de la Seine ! Même le journal La Croix adoube Ferdière : « On s’associera à l’exhortation de ce dernier [Gaston Ferdière], d’une grande élégance morale : loin de traiter ces malades mentaux comme des étrangers […], nous devons les traiter en hommes, travailler sans relâche à leur guérison et imiter l’Eglise, comme dit le Dr Ferdière, l’Eglise qui ne perd pas de vue que la part de Dieu subsiste en eux, qu’ils ont une âme, et leur accorde des sacrements. » (L. E., « L’aliénation mentale et la création artistique », La Croix, 21 février 1946.) Ces quelques éléments de biographie et nos recherches autant que nos lectures de ce corpus extraordinaire nous ont naturellement amené à le considérer sous l’angle du « surréalisme ». Les 11 lots (44 à 54) de ce « corpus Ferdière » proposent l’articulation indispensable qu’André Breton recherchait entre les arts et notamment « l’art primitif » et la psyché humaine en ce qu’elle crée de plus authentique ; (et ce malgré son ouvrage « L’art des fous, la clé des champs » au coeur duquel, s’il se « livre à un véritable hymne à la folie, (…) n’accorde pas pour autant d’attention aux qualités esthétiques des œuvres qui sont dépendantes pour lui, de critères d’appartenance et relèvent de classifications : œuvres d’art, asilaire et médiumnique. »). Un travail de mise en relation entre Ferdière et Breton nous semble aujourd’hui indispensable au devoir d’inventaire du « surréalisme ».