Edition origianle.
Cet ouvrage est remarquable à plusieurs titres. Il est interfolié : une feuille blanche permettant la prise de notes ou corrections sépare chaque feuille imprimée. Cela double le nombre de pages.
L’ouvrage est truffé de notes de Barnel, son possesseur et célèbre érudit bibliographe.
Enfin, c’est un magnifique exemplaire à toutes marges non rogné.
Evidemment son contenu est génial et proche d’une manie folle de collecteur de mots de traverses…
Auteur
Francisque Michel, docteur ès-lettres de la Faculté de Paris et de l’Université de Marburg, correspondant de l’Institut, de l’Académie impériale de Vienne et de l’Académie royale des sciences de Turin, des Sociétés des antiquaires de Londres, d’Écosse, de Normandie, (etc.) est l’auteur du développement de ce Mémoire couronné par l’Institut de France.
Correspondance de Prosper Mérimée, Lettres à Francisque Michel où les études argotiques de Michel sont (un peu) abordées. En fait, comme le relevé suivant le montre, on y lit essentiellement l’intérêt de Mérimée pour le sujet, et rien d’autre ou presque.
Paris, 20 janvier 1849 Monsieur, Je vous envoie le dernier rapport de la commission du prix Volney, qui vous indiquera les conditions et les délais du programme. Vous verrez que vous avez jusqu’au 1er août pour rouscailler bigorne. Rien n’est encore arrivé au secrétariat de l’Académie. Il est vrai que MM. les orientalistes sont un peu dominateurs, mais le principal d’entre eux est un homme d’esprit qui comprend et apprécie toutes les études sérieuses, quelle que soit l’étiquette qu’elles portent.
Paris, 24 Août au soir [1849] J’ai déposé votre volume avec un rapport dont je ne vous dirai rien pour le moment, mais j’ai vu avec plaisir qu’on ne s’est pas signé à la lecture du tirre : c’est là ce que je craignais le plus. Je regrette que vous n’ayez pas eu le temps de nous donner une comparaison de tous les systèmes d’argot usités en Europe. Je m’explique : ce que j’appellerais la loi de formation de l’argot français, c’est la métaphore, toujours burlesque. Est-ce la loi générale des langues de voleurs, ou bien le burlesque de notre argot tient-il à notre caractère national ? Cette disposition toute gauloise à rire des choses les plus sérieuses et les plus tristes est extrêmement remarquable dans notre volume. Je voudrais savoir si les Allemands, par exemple, se servent de métaphores du même genre, ou si, dans leur argot, on trouve quelques traits de leur caractère. Autant que j’en puis juger par le peu de Germania que je sais, l’argot allemand n’a pas la gaieté du nôtre. J’aurais voulu que vous nous dissiez votre opinion là-dessus.
Paris, 2 Septembre [1849] Vous avez eu deux rapports favorables, le mien et celui du Mr Hase. C’est Burnouf qui vous tient en ce moment.
Paris, 22 Janvier [1850] Je ne sais pas bonnement ce qu’on dira de faire servir les types nationaux à l’impression des mots arguche, greluchon, proie, etc…, mais il faut l’essayer. Le rapport de la commission Volney peut servir de parachute. Je crois que Mignet est du conseil où cela se décide : je le haranguerai.
Paris, 14 décembre 1850 Il se peut que vous ayez raison de ne pas m’envoyer votre argot en fascicules. Vous connaissez ma table et ses labyrinthes : pourtant je crains d’être bien longtemps privé du plaisir de vous lire.
Paris, 20 Décembre au soir [1850] J’ai parlé de vos travaux sur les races maudites et sur l’argot, et j’ai fait une tartine pour démontrer que, sur cette matière, on pouvait faire des recherches utiles et importantes. Il m’a paru qu’il fallait aller au devant de l’objection d’immoralité, qui n’a pas été faite, bien entendu, en séance, mais dont quelques immortels m’avaient fait part dans la bibliothèque. C’est vendredi prochain qu’on fera les nominations.
Paris, 3 Février 1851 J’aimerais bien lire les livraisons argotiques dont vous me parlez. Elles me font venir l’eau à la bouche.
Paris, 23 Février [1851] A Brest, de mon temps, on appelait les crabes tourlourous. Je me suis demandé si les soldats n’auraient pas reçu le même nom du pas oblique qu’on leur enseigne, et que les crabes exécutent sans qu’on le leur enseigne. Pendant la Terreur, un oncle à moi, réquisitionnaire, avait été soldat dans un bataillon d’infanterie de marine. Les soldats des bataillons terrestres les appelaient bigorniaux de marine ou bigreniaux, ce qui occasionnait un grand débit de coups de sabre et de fleurets démouchetés. J’ai le regret de ne m’être jamais enquis de l’étymologie de ces sobriquets-là. A Cherbourg, et dans d’autres ports, on appelle bigorneaux des limaçons de mer noirâtres qui s’attachent aux rochers découverts à marée basse. On les mange, les limaçons et non les rochers, avec une épingle. Cela ne vaut pas le diable. 15 Mai 1851 Cagne, cheval (Vidocq) me paraît venir du russe KOHB, prononcez cogne, génétif KOHA, prononcez cagnìa ; kon ou quelque autre mot aussi mal sonnant, a la même signification en polonais.
Paris, 17 Juillet [1851] Je voudrais bien que la draperie ne vous empêchât pas de nous donner les moyens de parler l’argot le plus cruscante. A quand cette bonne œuvre ? Voulez-vous attendre que l’Assemblée nationale vous ait fourni matière à un supplément ?
Paris, rue Jacob, 18. 10 Août [1851] Je n’ai pas de nouvelles de votre dictionnaire d’argot. Je veux dire que, depuis le vingt-neuvième fascicule, on ne m’a rien envoyé ; mais j’espère que vous continuerez chenuement votre œuvre.
9 Décembre 1851 A ce propos, permettez-moi de vous rappeler que vous m’aviez promis la suite de votre livre. J’en suis resté à la page 264.
06/01/1854 Donnez-moi de vos nouvelles et parlez-moi de vos travaux. Où en êtes-vous de votre dictionnaire d’argot ? Je m’y intéresse fort ; j’achèverai de me perdre dans l’esprit des gens bien nés en faisant un article sur ce sujet dans un journal grave et religieux.
04/03/1854 Je m’intéresse par-dessus tout à votre argot et il me semble que vous lanternez beaucoup le public choisi qui attendait ce volume pour le carnaval et qui ne l’aura pas même en carême.
10/05/1854 Pour en finir, je me suis imposé la loi de ne rien lire avant de l’avoir terminé. Voilà pourquoi je ne vous parlerai pas encore de vos Cabarets. Seulement, en feuilletant le volume, ou plutôt en le maniant, j’ai vu qu’il n’y avait pas de dictionnaire d’argot, ce qui m’a affligé. Quand donc ferez-vous paraître ce travail de linguistique que j’attends avec impatience ? 02/09/1856 Je n’ai pas de nouvelles de l’argot.
03/01/1858 Je suis à votre service pour les mots russes ; quant aux bulgares je ne sais pas quelle langue c’est, mais je sais bien que je n’en sais pas un mot. Mon avis serait que vous vous en tinssiez à l’argot français, sans vous occuper de l’argot russe que vous ne saurez jamais.
Rapport de condition
In-8, fort volume, demi-maroquin brun à coins (émoussés), coiffes frottées, plats accidentés, dos à nerfs, non rogné, Paris, Firmin Didot frères, fils, 1856, LV + 516 pp. Provenance : Ex-libris Barnel (célèbre érudit bibliographe).
Références bibliographiques
Le plus savant ouvrage écrit sur l’argot jusqu’à cette époque et auquel nous devons une mention particulière de reconnaissance, en raison des renseignements précieux que nous y avons puisés. » (YP) « F. Michel […] est précieux par les vieux textes français accrochés aux mots d’argot ; mais ceux-ci, il les donne sans référence ; il les prend souvent au “nain” de 1847. » (DHAF).
« Très intrigué par les mœurs des classes dangereuses – « les gueux, les cagnardiers, les caymands et autres marpauds qui piaussaient ès piolles des cours des miracles » (lettre à Paul Lacroix du 5 août 1848) –, il tentera de composer une encyclopédie de leur langage dans ses Études de philologie comparée sur l’argot (1856). L’introduction de celles-ci fait explicitement référence aux essais de Nodier, par plusieurs extraits prouvant une véritable filiation. Les Notions élémentaires de linguistique, la Diatribe du docteur Néophobus contre les fabricateurs de mots, la Description raisonnée sont citées abondamment dès la première page ; et plus loin l’Examen critique des dictionnaires de la langue française. Mais le fait de se placer sous les auspices d’un tel écrivain n’impliquait pas qu’il en eût bien compris les leçons. » (Didier Barrière, « Un petit Francisque Michel… », 2006)
Développement d’un mémoire primé avant 1850 : « Jusqu’à présent, je n’ai pas pu retrouver ce mémoire, qui a reçu le prix Volney, probablement vers 1850. » Les recherches de Michel ont été exploitées dès 1852 par Maurice de la Châtre (plus tard Lachâtre) dans le premier tome (lettres A-G) de la première édition de son Dictionnaire Universel. (Delaplace 2003) Ce mémoire aurait été adressé à l’Académie des inscriptions et belles lettres en 1849 (gb)
Voir aussi, à ce sujet, Joan Leopold et Jean Leclant. The Prix Volney: Its History and Significance for the Development of Linguistic Research, vol.1a, Springer, 1999 où l’on trouve les informations suivantes, dont une à propos des réserves concernant l’argot comme sujet d’études linguistiques : « A small prizewinner (1000 francs) for 1849 was Xavier Francisque Michel (1809–1887), who submitted “Etudes de Philologie […]”, which was in the process of publication. » (p.94) « The Commissioners did express reservations about the choice of argot as a subject when it first appeared in the competition (1849). But they praised the solid and varied erudition of the author, Francisque Michel, and the curious details the book contained on the history of the French language. » (p.181) (La même remarque en français ici : Journal des savants, 1849.) « After Francisque Michel’s memoir on argot won a prize in the 1849 Volney competition, Mérimée wanted to see if the Imprimerie Nationale would print the work at no cost to the author, based on the praise in the report of the Volney Commissioners. This did not come to pass, however, since the work was published in fuller form only in 1856, by Firmin Didot Frères, Fils et Cie. » (p.192)
Présentation du mémoire de 1849 : « […] “Etudes de Philologie comparée sur l’Argot et sur les autres langues analogues parlées en Europe.” 693 pp. [pp. 1-40 are printed, with MS. additions] + (1000 francs). […] French. This work was published in full as Etudes de philologie comparée [etc.] » (p.279)