Le lot 44 est composé de documents inédits. Un corpus de 15 feuillets (versos vierges), dactylographiés au recto et largement biffés et annotés en 1948 & un Journal de 1950. Cet ensemble se décompose en 6 parties. On constate quelques manques ne gênant pas la lecture des feuillets. 1. Le plan de sa conférence devant la « Société d’esthétique » du « Samedi 13 mars 1948 à 16h30 » : « Le style des dessins schizophréniques » ; 1 page. 2. Le plan détaillé de sa conférence devant la « Société d’esthétique » du « Samedi 13 mars 1948 sous la présidence de Me Ch. LALO (…) Le style des dessins schizophréniques » ; 2 pages. 3. La « 2e communication » publiée par les AMP (Annales Médico-Psychologiques) : « Ils sont « bourrés » corrigée et augmentée qui explore la remise en question des concepts de « plénitude » et « remplissage » au profit de celui de « bourrage » ; 5 pages. 4. La « 3e communication » publiée par les AMP (Annales Médico-Psychologiques) : « iLa symétrie et l’équilibre » corrigée et très augmentée qui analyse le témoignage d’un patient » ; 3 pages. 5. Ce document est sans titre, dactylographié et très largement augmenté par Gaston Ferdière. Il termine une conférence dont on a supposé qu’il s’agit de la même tant au regard des indices physiques traces, couleur du stylo à bille, rythme que du sens. Ce texte aborde notamment le rapprochement entre le schizophrène et le psychasthénique ; évoque longuement Minkowska à propos des tableaux de Van Gogh ; cite Vinchon ; et fait preuve d’un humour toujours actuel : « Dans sa psychopathologie générale, Jaspers fait un rapprochement non moins intéressant entre certains dessins schizophréniques – probablement ceux qu’à quelques lignes de distancier qualifie de « gribouillage presque ordonné » – et les dessins que certaines personnes exécutent machinalement lorsqu’elles sont attentives et concentrées, en écoutant une conférence par exemple [avec des enfants : ajouté à la main] ; je concède volontiers à Aragon que, sur les buvards du Conseil des Ministres reproduits dans son ancien numéro de la « Révolution surréaliste », buvards dont je n’ai pas à préjuger de l’authenticité, les dessins en bas de la page de droite ressemblent singulièrement à des dessins de schizophrènes… ». 6. Le journal du 1er congrès mondial de Psychiatrie (Henri Ey en photo et l’organigramme du « secrétariat ») ; daté du jeudi 21 septembre 1950 en 8 pages. Ce journal est capital pour comprendre la dimension international du travail de Gaston Ferdière. On y trouve son célèbre article « La main du dessinateur schizophrène ».
Gaston Ferdière ! A l’évocation de ce nom, le regard perdu d’Antonin Artaud apparaît ; d’emblée l’impression du néophyte est désagréable. Ferdière ; celui qui a interné Artaud. Mais qui est Gaston Ferdière ? Ne souhaitant pas imposer une longue biographie, voici un échantillon de ce que l’on peut rapidement apprendre… de moins convenu. En 1930, alors qu’il a commandé à Paris une nouvelle fresque à Frédéric Delanglade, pour son hôpital, il invite à déjeuner André Breton et Marcel Duchamp. Il noue une relation extrêmement créatrice et artistique avec les surréalistes qu’il côtoie régulièrement. En 1941, afin de faire vivre son hôpital de Rodez, Gaston Ferdière n’hésite pas à pratiquer le marché noir au péril de sa vie. Ferdière est un catalyseur de rencontres, un « ovni » qui donne au « fatum » du fil à retordre et impose son rythme à la vie : « Alors que Sainte-Anne se prépare à ouvrir ses portes au public, Jean Dubuffet vient de rencontrer Gaston Ferdière qui le présente à d’autres aliénistes. Parmi ceux-ci, Lucien Bonnafé (1912-2013) , natif du Lot, qui fréquente comme Gaston Ferdière, le milieu surréaliste. Il est résistant et militant communiste et sera très impliqué dans la « psychiatrie désaliéniste » autour de 1955. Alors médecin psychiatre à l’hôpital de Saint-Alban-sur-Limagnole en Lozère, le Docteur Bonnafé soigne Auguste Forestier, auteur d’Art Brut, dont le nom sera célèbre. Il est ami de Paul Eluard qui a trouvé refuge dans cet hôpital en 1943, lui-même proche d’Aragon et d’André Breton : un chassé-croisé de rencontres déterminantes dans l’évolution de l’art psychopathologique où l’on voit apparaître des interactions entre le milieu surréaliste, l’engagement politique et le milieu médical. » (in De l’art des fous à l’art psychopathologie… » de Muriel Tisserant.) En 1946, sous le haut patronage de Ferdière est organisée la première « Exposition d’art des malades mentaux (peintures, dessins, sculptures, décorations) » ouverte au public du 16 au 28 février 1946. Evénement placé sous l’autorité du Préfet de la Seine ! Même le journal La Croix adoube Ferdière : « On s’associera à l’exhortation de ce dernier [Gaston Ferdière], d’une grande élégance morale : loin de traiter ces malades mentaux comme des étrangers […], nous devons les traiter en hommes, travailler sans relâche à leur guérison et imiter l’Eglise, comme dit le Dr Ferdière, l’Eglise qui ne perd pas de vue que la part de Dieu subsiste en eux, qu’ils ont une âme, et leur accorde des sacrements. » (L. E., « L’aliénation mentale et la création artistique », La Croix, 21 février 1946.) Ces quelques éléments de biographie et nos recherches autant que nos lectures de ce corpus extraordinaire nous ont naturellement amené à le considérer sous l’angle du « surréalisme ». Les 11 lots (44 à 54) de ce « corpus Ferdière » proposent l’articulation indispensable qu’André Breton recherchait entre les arts et notamment « l’art primitif » et la psyché humaine en ce qu’elle crée de plus authentique ; (et ce malgré son ouvrage « L’art des fous, la clé des champs » au coeur duquel, s’il se « livre à un véritable hymne à la folie, (…) n’accorde pas pour autant d’attention aux qualités esthétiques des œuvres qui sont dépendantes pour lui, de critères d’appartenance et relèvent de classifications : œuvres d’art, asilaire et médiumnique. »). Un travail de mise en relation entre Ferdière et Breton nous semble aujourd’hui indispensable au devoir d’inventaire du « surréalisme ».