Le lot 45 est composé de documents inédits. Un corpus de 41 feuillets (versos vierges), dactylographiés au recto, biffés et annotés. Cet ensemble se décompose en 4 parties ; probablement rédigées en 1952. Quelques bas de feuillets cornés et quelques manques mais n’en gênant pas la lecture. Les 4 ensembles de feuillets constituent l’évolution de la critique produite par Gaston Ferdière au sujet du livre de N. N. Dracoulidès. On y constate les différentes corrections apportées jusqu’à la version finale. Cette « généalogie » est passionnante car elle dévoile le travail méticuleux de Ferdière autant que son désir de neutralité alors même qu’il dénonce objectivement l’incompétence de Dracoulidès, son manque de culture (« ignorance encyclopédique ») et l’incomplétude de son analyse psychanalytique. La citation ironique de Kafka (via Gustav Janouch) en dit long : « A la vérité, je ne suis déçu que par moi-même. J’attendais quelque chose d’autre que ce qu’il voulait sans doute donner. L’opiniâtreté de mon attente m’a aveuglé au point que j’ai sauté par-dessus les pages et par-dessus les lignes et finalement par-dessus le livre tout entier. Je ne puis donc rien dire concernant ce livre. Je suis un mauvais lecteur »…
1. Version première, dictée, de l’article « Au sujet d’une nouvelle psychanalyse de l’art » ; 10 pages. 2. Copie de la version première, sur laquelle les corrections sont portées à la main ; 10 pages. 3. Nouvelle copie de la version première corrigée à la main une seconde fois (pas à partir des précédentes corrections). Elle est largement biffée. Gaston Ferdière fait évoluer le titre : « On nous propose de Grèce une nouvelle psychanalyse de l’art » ; 10 pages. 4. Dernière version sur un papier de taille différente. Version dictée (ou recopiée) avec le dernier titre ; 11 pages.
Auteur
Gaston Ferdière ! A l’évocation de ce nom, le regard perdu d’Antonin Artaud apparaît ; d’emblée l’impression du néophyte est désagréable. Ferdière ; celui qui a interné Artaud. Mais qui est Gaston Ferdière ? Ne souhaitant pas imposer une longue biographie, voici un échantillon de ce que l’on peut rapidement apprendre… de moins convenu. En 1930, alors qu’il a commandé à Paris une nouvelle fresque à Frédéric Delanglade, pour son hôpital, il invite à déjeuner André Breton et Marcel Duchamp. Il noue une relation extrêmement créatrice et artistique avec les surréalistes qu’il côtoie régulièrement. En 1941, afin de faire vivre son hôpital de Rodez, Gaston Ferdière n’hésite pas à pratiquer le marché noir au péril de sa vie. Ferdière est un catalyseur de rencontres, un « ovni » qui donne au « fatum » du fil à retordre et impose son rythme à la vie : « Alors que Sainte-Anne se prépare à ouvrir ses portes au public, Jean Dubuffet vient de rencontrer Gaston Ferdière qui le présente à d’autres aliénistes. Parmi ceux-ci, Lucien Bonnafé (1912-2013) , natif du Lot, qui fréquente comme Gaston Ferdière, le milieu surréaliste. Il est résistant et militant communiste et sera très impliqué dans la « psychiatrie désaliéniste » autour de 1955. Alors médecin psychiatre à l’hôpital de Saint-Alban-sur-Limagnole en Lozère, le Docteur Bonnafé soigne Auguste Forestier, auteur d’Art Brut, dont le nom sera célèbre. Il est ami de Paul Eluard qui a trouvé refuge dans cet hôpital en 1943, lui-même proche d’Aragon et d’André Breton : un chassé-croisé de rencontres déterminantes dans l’évolution de l’art psychopathologique où l’on voit apparaître des interactions entre le milieu surréaliste, l’engagement politique et le milieu médical. » (in De l’art des fous à l’art psychopathologie… » de Muriel Tisserant.) En 1946, sous le haut patronage de Ferdière est organisée la première « Exposition d’art des malades mentaux (peintures, dessins, sculptures, décorations) » ouverte au public du 16 au 28 février 1946. Evénement placé sous l’autorité du Préfet de la Seine ! Même le journal La Croix adoube Ferdière : « On s’associera à l’exhortation de ce dernier [Gaston Ferdière], d’une grande élégance morale : loin de traiter ces malades mentaux comme des étrangers […], nous devons les traiter en hommes, travailler sans relâche à leur guérison et imiter l’Eglise, comme dit le Dr Ferdière, l’Eglise qui ne perd pas de vue que la part de Dieu subsiste en eux, qu’ils ont une âme, et leur accorde des sacrements. » (L. E., « L’aliénation mentale et la création artistique », La Croix, 21 février 1946.) Ces quelques éléments de biographie et nos recherches autant que nos lectures de ce corpus extraordinaire nous ont naturellement amené à le considérer sous l’angle du « surréalisme ». Les 11 lots (44 à 54) de ce « corpus Ferdière » proposent l’articulation indispensable qu’André Breton recherchait entre les arts et notamment « l’art primitif » et la psyché humaine en ce qu’elle crée de plus authentique ; (et ce malgré son ouvrage « L’art des fous, la clé des champs » au coeur duquel, s’il se « livre à un véritable hymne à la folie, (…) n’accorde pas pour autant d’attention aux qualités esthétiques des œuvres qui sont dépendantes pour lui, de critères d’appartenance et relèvent de classifications : œuvres d’art, asilaire et médiumnique. »). Un travail de mise en relation entre Ferdière et Breton nous semble aujourd’hui indispensable au devoir d’inventaire du « surréalisme ».